Elektra Ivanovna Krarmia

"Dis papa, elle est partie où maman ? Hein papa, dis, où elle est ? Papa, pourquoi tu pleures ?
- MAIS TU VAS LA FERMER OUI ?"

S'en suivit le bruit sec provoqué par l'impact de la main massive de l'homme sur la joue de la petite fille, âgée de deux ans à peine. Sur son visage de poupée de porcelaine, on pouvait à présent distinguer la trace de la main de son père, et le choc l'avait légèrement ébouriffée. Mais étrangement, elle ne pleurait pas, fixant d'un regard incrédule son père s'effondrer en pleurs au chevet de sa femme qu'avait emporté la maladie. Cette dernière venait de mettre au monde un petit garçon, mais son état de santé n'était pas suffisant pour la garder en vie. Elektra, puisque tel était le nom de la petite fille, se retourna vers une vieille femme à l'air désolée, qui se tenait dans un coin sombre de la pièce.

"Babushka, c'est vrai qu'elle est partie maman ?
- Oui ma petite, elle est partie très loin à présent. Mais ce n'est pas la faute de ton petit frère, il ne faut pas que tu lui en veuilles.
- D'accord babushka."

Puis, comme si de rien n'était, Elektra partit de la pièce en courant pour reprendre les activités d'une enfant de deux ans. Enfin, de l'enfant de deux ans qu'elle était. Sa chambre était jonchée de corps de peluches éventrés, de têtes de poupées peinturlurées et rasées, et la lumière ne s'y allumait jamais. Non, elle n'était pas le "fruit du diable" comme l'appelaient beaucoup d'adultes. Elle suivait juste l'exemple de sa mère, laquelle était restée pendant des années recluses dans sa chambre, sans lumière aucune, à martyriser poupées et peluches. Seul son "homme" était autorisé à entrer et à allumer une lampe, ou du moins, s'y autorisait lui-même. Et à peine la porte était-elle fermée derrière-lui qu'on entendait la femme crier. Ce que personne ne savait, mise à part Elektra, c'est que dans la cloison séparant sa chambre de celle de sa mère, un minuscule trou permettait de voir tout ce qui s'y passait une fois la pièce éclairée. Aussi l'enfant assista aux violences qu'exerçait son père sur la pauvre femme, sans même comprendre que c'était mal. Au contraire, c'était devenu un "rituel". Le père entrait dans la chambre toujours aux mêmes heures, fermait la porte, éclairait la pièce, et frappait sa femme tout en assouvissant ses désirs les plus primitifs. Mais au delà de ses désirs, l'homme voulait laver la "honte" qui s'était abattue sur sa famille par la naissance d'Elektra, lui qui aurait préféré avoir un fils.

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Dix-huit ans plus tard, Elektra était devenue une grande jeune fille, mais avait gardé son apparence de poupée, quoiqu'elle ressemblait plus à celles qui étaient passées entre ses mains qu'à celles que les jeunes filles de bonnes familles ont par dizaines sur chacun des meubles de leurs chambres. Cela faisait déjà trois ans qu'elle vivait seule, ayant trouvé un emploi comme chanteuse au bar à concerts de la ville. Son frère avait été confié à une autre famille quelques jours après sa naissance, sa grand mère avait en vain tenté de la protéger des coups du paternel et avait fini par y succomber. Quant à son géniteur, elle n'avait jamais cessé d'être en conflit avec lui, lui tenant tête sans arrêt, et encaissant les coups sans sourciller. Ca eut de positif de lui forger son caractère, et de la rendre très indépendante.
Jamais elle n'avait fréquenté d'établissements scolaires, et avait apris à lire écrire et compter sur le tas. Pendant que les jeunes de son âge allaient en cours, elle flânait dans les rues, se battait de temps à autres, et regardait la sortie des cours avec envie. Oui, elle avait toujours envié tous ces favorisés qui avaient la chance de recevoir une éducation digne de ce nom, et en aurait bien défiguré certains qui disaient détester tel ou tel prof, préférer ne plus jamais avoir cours, et j'en passe. Bref, la vie de la jeune femme ne fut pas toujours rose, mais elle parvint à avoir une situation stable à force d'efforts, bien qu'elle se perde souvent dans l'alcool ou dans l'illicite pour s'oublier un peu.